Le toubib est formel : " Ce n'est rien de plus qu'une petite déprime monsieur.
_ Ah bon ? Et vous allez me faire une ordonnance ? Pour du Xanax ? De Lexomil ? Du Tranxene ? Lithium ? Une cure de thalasso sur la côte d'Azur, au frais du contribuable ?
_ Rien de tout cela. Un grand bol d'air frais vous ferait le plus grand bien. Oxygénez-vous ! Sortez de chez vous ! Dégourdissez-vous les jambes et allez vous promener.
_ Et c'est tout ?
_ Pas tout à fait... ça fera vingt-trois euros et je ne prends pas la carte vitale. Je peux vous prescrire du magnésium si vous voulez. ça ne peut vous faire du mal.
_ Excusez-moi, mais une consultation ne coûte t-elle pas vingt et un euros ?
_ Il y a une majoration parce que je ne suis pas votre médecin attitré mais une fois que vous aurez fait les démarches...
Vingt-trois euros pour une boîte de Magne B6 et le conseil de "bon pote" ? La belle affaire ! Compte pas sur moi pour que je remplisse ta paperasse, ton contrat d'exclusivité, charlatan !
Après tout, s'il avait raison ? Il est à peine neuf heure, j'ai déjà bu mon café, étendu le linge qui avait tourné dans la machine cette nuit et déjà, je fais les cents pas aux quatre coins de la maison, alors que le soleil semble vouloir percer en ce samedi matin. Cela remonte à quand ? La dernière fois que j'ai fait une grasse matinée ? Peu importe, ce qui compte, c'est de me changer les idées. Je saute donc à pieds joints dans une paire de baskets, enfile un blouson et pars pour une ballade en extérieur.
Respirer les particules fines des gaz d'échappement, sentir le doux parfum des poubelles qui n'ont pas été rentrées la veille...
Marcher en cadence sur un terrain accidenté, éviter les nids de poules et les crottes de chien...
Regarder au loin, scruter l'horizon caché derrière les tours, les immeubles...
Lever la tête et admirer le gracieux vol planer d'un Airbus A340, être ébloui par les chromes d'un réverbère...
Tendre l'oreille, écouter le gazouillis des moteurs diesel, le chant des klaxons...
Converser avec un inconnu croisé au détour d'un chemin : " T'aurais pas une tite pièce ? Une cigarette ? Connard ! "...
Observer les fourmies ouvrières en plein travail, sur la place du marché, les commerçants s'affairent à installer leur stand...
En plus de me dégourdir les jambes, cette petite promenade m'a ouvert l'appétit. Je me dirige devant une chaîne de la restauration, et commande depuis la rue un maxi pain au chocolat. A mes pieds, une femme que je n'avais pas vu, assise à même le bitume, un nourisson dans les bras me supplie : " Donnez de l'argent s'il vous plait ! A manger, pour le bébéééééé ". Voilà que je culpabilise, m'acheter une viennoiserie, m'offrir ce petit plaisir avec de la monnaie gagnée par le fruit de mon travail, celui pour lequel je me force à me lever aux aurores tous les matins en semaine. Je n'ai plus faim, je donne mon petit pain et les pièces jaunes qui m'ont été rendues à cette maudite bonne femme.
Flaner dans les rues de la métropole, ce n'est pas une quête de tranquilité comme on pourrait la trouver dans forêt de Saint-Michel. Cette sortie en ville n'a de revigorant que le froid de l'hiver. Sur le retour, je pense au futur printemps et aux weekends de décompression que je pourrai enfin passer à la campagne en Thiérache. En attendant, dans l'immédiat, je n'ai qu'une idée fixe, rentrer à la maison, saisir une bouteille de whisky et m'envoyer une grande rasade jusqu'au moment où, un sommeil artificiel me gagnera..