On avait 16 ou 17 ans. On écoutait Les Garçons boucher, Pygalle, les berrus... Nous étions à l'aube du vingt et unième siècle et pourtant, la scène post-punk française perdurait. Avec nos coupes de cheveux improbables, soit la boule rasée, soit les tiffs longs, parfois les deux sur la même caboche, nous suivions cela de prêt.
Je me souviens avoir assisté à un concert de Lofofora à la salle de l'Eden à Hirson. On pouvait slamer à volonté, parce que l'on était à des années lumière de remplir le Parc Des Princes, même pas le dixième d'un Zénith. Le groupe était venu jouer en Thièrache car le père du bassiste était du coin ( ou quelque chose comme ça ) . Oui, "nous sommes tous sortis du même moule, du même oeuf, du sang de notre mère, la terre. Yeaaah ! " Rue Charles De Gaulle, on pogotait aussi, virilement mais sans violence, sous le son de groupes locaux, comme les " Bloody Tears" dont l'un des membres donnait des leçons de gratte aux Caves A Musique Hirsonnaise.
Nous étions rebelles et consuméristes, anarcho et rangés, subversifs et sympas. Nous nous chaussions de Doc Martens pour éclater les cannettes de kro vides avec la coque de nos pompes. " Qu'est ce qu'elle a fait de moi la bière ? La bière, c'est comme si c'était mon frère ". Un Ché sérigraphié suffisait à nous recouvrir le dos, et les plus cabots d'entre nous, refusaient de quitter leur jean troué, même pendant les cours d'Education Physique et Sportive. Leur argument était "qu'il n y avait pas de meilleure tenue pour la gymnastique . Puis de toute façon la gym, ce n'est que de la torture, comme aux temps moyenâgeux. No Futur ! Gnééééé..."
Cette volonté de non-conformisme, c'est ce que certaines têtes bien-pensantes appellent... " L'âge con !
De l'eau a coulé sous les ponts depuis. Nous regardons moins assidument le Grosland, son générique des Sex Pistols, les idéaux de déglingos sont tombés dans le ruisseau...
ça fait à peu près vingt ans déjà. L'hiver dernier, alors que j'étais rue des martyrs, chez moi, pas dans la "salle du bar-tabac", je reçu une invitation pour assister au concert de Pygalle qui se déroulerait au familistère de Guise, je n'hésitai pas bien longtemps.
Ceux qui lisent, la page "Notre Thièrache" depuis les antipodes vont se demander : " Le familistère, qu'est ce que c'est ? ". Faisons cours et concis. Allons à l'essentiel comme dans un morceau keupon, composé de cinq ou six accords maximum. Je ne peux plus me débiner... Le Familistère de Guise est ce que l'on pourrait appeler : Le monument du progrès social en Thiérache. Il s'agit d'un ancien site industriel. On y fabriquait les fameux poêles en fonte : "poêles Godin " du nom de son inventeur aussi fondateur de l'entreprise. Les salariés qui travaillaient à l'usine disposaient sur le principe de la coopération, d'appartements de grands conforts pour l'époque, d'une école obligatoire jusque l'âge de 14 ans, de bibliothèques et même d'un thêatre !
C'est dans ce théâtre, réouvert depuis peu au grand public, que se déroula le concert. L' endroit est mignon avec ses balcons de bois, et intimiste avec ses strapontins.
Avant l'ouverture du bal, nous aperçûmes François Hadji-Lazaro et son band de désosseurs au restaurant du Familistère. Nous n'étions pas nombreux à nous être attablés, les serveurs attendaient "le chaland qui passe" jusqu'au moment où ils poussèrent la porte pour se diriger vers un espace réservé. Il n'y avait nul besoin d'un regard perçant, d'un oeil photographique pour le reconnaître entre mille. Dodu, comme un jambon, déplumé comme un poulet, le pantalon soutenu par des immuables bretelles, des godasses qui ressemblait à des pantoufles, il ressemblait de plus en plus à un pré-retraité. Il ne manquait plus qu'il nous jouât de l'accordéon le Hadji. Pourtant, le charisme était encore là, la voix ne temblait pas et de l'accordéon il en pianota, mais pas seulement. Il joua d'un instrument différent à chaque morceau pioché ça et là dans les différents albums qui dessinaient la carrière du groupe. Les textes étaient moins abrupts, plus polis, la bonhomie avait supplanté la douce folie furieuse qui les caractèrisait.
Du no futur, on a appris ensemble à conjuguer le passé.