L'année à laquelle c'est passée l'histoire que je vais vous narrer n'est pas compliquée à retenir, il s'agit de celle où nous sommes rentrés au vingt et unième siècle. Nous étions plus précisément le troisième week-end de juin. Je me rendissur le bal de la fête patronale de la commune où j'habitais, sous le toit de mon père. Je pris une bière à la buvette qui était tenue par deux coéquipiers de l'équipe de football du Thiérache Football Club dans laquelle je jouais. L'un d'entre eux me demanda : " Dis-moi Bérenger, tu fais quelque chose mercredi ?
_ Eh bien la journée je suis en stage chez Wintertur pendant tout le mois de juin. Pourquoi me demande tu cela Stéphane ?
_ Eh bien, il y a France - Portugal qui se joue ce jour là à Bruxelles. On se disait avec Michélon qu'on monterait bien jusque la capitale Belge pour aller voir le match dans un café. Là bas, il y aura certainement plus d'ambiance qu'ici à Neu-neu.
_ En effet, ça pourrait être sympa mais je te le répète, je suis en stage toute la journée et je dois faire de la prospection pour des assurances santé."
A l'époque j'étais en BTS Force de Vente. Je devais mettre en pratique mes connaissances théoriques apprises en classe tout au long de l'année sur le terrain pour le compte d'un cabinet d'assurances où j'avais postulé pour leur offrir mes services de novice dans le métier.
_ Écoute, Michélon et moi, nous n'avons encore rien arrêté. Mais si ça doit se faire, on partirait vers midi.
_ Ok Stéph, je prends dont acte mais ça me parait bien compromis pour moi, je finis ma bière sur ces mots, posai la canette vide sur le comptoir et je repartis chez moi pour aller dormir.
Je n'eus pas de nouvelle, ni de Michélon, ni de Stéphane jusqu'au mercredi. Ce matin là, j'entamai ma journée de prospection à lire le quotidien l'équipe, assis sur un banc dans un square. L'actualité footballistique traitée ce jour là était riche puisque nous étions au stade des demi-finales de la coupe d'Europe des nations et que l'équipe de France était toujours en lice. Je lu les compositions d'équipe, les potins qui concernaient la vie du groupe enfermé en vase clos depuis un mois. Puis je finissais ma lecture en consultant la rubrique des transferts où il n'y avait pas grand chose à se mettre sous la dent depuis le début de la compétition. Il me restais une heure à meubler avant la pause déjeuner. Je la passai à remplir moi-même et avec des informations erronées, des fiches de prospection que je devais noircir au nombre de dix par jour. L'objectif était en soit réalisable mais je détestai faire du porte à porte. Sur le coup de midi, je pris la voiture et je rentrai à la maison en même temps que mon père et nous prîmes un repas au lance-pierre sans que nous échangeâmes un mot comme ce fut souvent le cas. Je fût à peine sortie de table que mon téléphone sonna.
_ Allo ?
_ Salut Bérenger, c'est Stéphane. Tu te souviens notre conversation de samedi dernier sur la ducasse ?
_ Oui, tu m'appelles pour me dire que vous montez à Bruxelles c'est ça ?
_ Exactement, je décolle dans une heure. Je passe à Hirson chercher Michélon et te prendre avant si ça te dit.
_ Écoute, moi ça me dit carrément. Mais je vais venir poser ma voiture chez toi puisque je suis censé être en stage. Je me débrouillerai, je ne suis pas obligé de passer à l'agence et de voir mon patron puisqu'il pense que je démarche toute la journée. Je n'ai qu'un compte-rendu de la veille à faire chaque matin, après je suis tranquille !
_ Parfait, alors je t'attends pour deux heures à la maison, à toute.
_ Ok, je serai à l'heure. A tantôt comme disent les wallons.
Je raccrochai et aussitôt je changeai mon costume, cravate pour une tenue de baroude plus confortable. Je signalai à mes parents que je ne rentrerai que dans la nuit et à deux heures précise, je me trouvais devant la poste du village où le père de Stéphane travaillait comme receveur. Nous partîmes à bord de la 206 de mon pote en direction de La Futée. Je tirai sur le chemin un peu d'argent liquide et nous prîmes au passage Michélon avant de franchir la frontière un bon quart d'heure plus tard. Aussitôt que nous passâmes le poste de douane où se tourne le dernier film de Dany Boon actuellement, Michélon sortit un joint de sa poche et l'éclata.
_ Merde les mecs ! , vociféra Stéphane, ouvrez grand les carreaux, j'ai pas envie d'être positif à un contrôle !
Stéphane craignait un examen d'urine dans le cadre de son travail puisqu'il exerçait la profession d'adjoint à la sécurité en contrat emploi jeune.
Nous arrivâmes à Bruxelles en milieu d'après-midi. Nous cherchâmes à nous garer à proximité du stade "Roi Bauduin" où aller se jouer le match dans la soirée. Le jeune gendarme dit alors que nous étions toujours à la recherche d'une place de parking :
_ C'est dommage d'être ici et de regarder le match dans un café. On pourrait peut-être essayer de trouver des places sur le marché noir.
_ Sur le marché noir comme en passant par les réseaux de distribution officiels, ça risque de nous coûter bonbon, lui fis-je remarquer.
_ Ben j'ai tiré quatre-cent francs, je ne paierai pas la place plus de trois-cent.
_ Moi, ce que je voudrai avant tout, c'est une fois que l'on arrive à poser la voiture, on aille boire un bon demi bien frais ! , répondit Michélon.
Michélon buvait à l'époque une dizaine de bières par jour, ce qui ne l'empêcha pas de demeurer épais comme un soret. Nous nous arrêtâmes au premier troquet rencontré en chemin, après avoir déposé la peugeot couleur bleue estafette sur un parking situé à environ un kilomètre du stade. Dans le bar, tout le monde parlait français ou presque. Tout en sirotant notre bière, nous demandâmes tout d'abord au barman qui était le stéréotype du gaulois chevelu, s'il avait des places pour le match à vendre. Celui-ci nous répondit par la négative. Nous reformulâmes donc notre question maintes fois auprès de tous les clients présents dans le bar, sans succès. On nous conseilla cependant de nous rapprocher du stade et d'aller nous renseigner auprès des billetteries agrées. Après avoir bu une seconde bière, nous nous dirigeâmes en direction du stade jusqu'à ce que nous aperçûmes l'une des billetterie que l'on nous avait suggéré de consulter.Les places étaient ici trop chères est c'est un peu déçu que nous reprîmes notre route. Stéphane qui portait maintenant un chapeau haut de forme aux couleurs du drapeau français, suggéra qu'une seule personne porte le liquide destiné à l'achat des trois places, sur lui. Je pris l'argent et engouffrai environ mille cent francs dans ma poche. Nous arrivâmes aux abord du stade quand un néerlandais nous interpella dans un excellent français : "Vous cherchez des places Messieurs ?"
_ Et bien si c'est dans nos prix, oui nous en cherchons trois répondis-je
_ J'ai bien trois places pour vous en tribune d'honneur, je vous les fait à mille deux cent francs les trois.
_ Nous n'avons que mille francs sur nous, négocia Michélon.
_ Très bien, je vous les vends à mille francs. Je pensais que mon équipe allait finir deuxième de son groupe et qu'elle jouerait ici même ce soir, nous expliqua t-il. Les battaves avaient terminer premier du groupe D, juste devant la France et jouaient leur demi-finale à Amsterdam contre l'Italie. Le supporter hollandais nous tendit les trois places d'une valeur unitaire bien supérieure au prix que l'on demandait, tandis que je sortis de ma poche mille francs en billet de cinquante. Je lui remis les billets en main tout en comptant : " Cinquante, cent, cent cinquante.... " Lorsque j'étais arrivé à neuf cent, notre ami prit la poudre d'escampette de crainte de tomber sur un contrôle de police sans même demander les cent francs restants dus. Nous étions fous de joie et mon coeur en palpitait d'excitation.
_ Non- seulement nous voici avec trois places de standing mais en plus il nous reste deux cent francs pour boire un coup !
_ Alors ne perdons pas de temps, il nous reste une heure pour nous échauffer ! , répondis Michélon.
Nous entrâmes dans un bar à deux pas de l'enceinte sportive et nous bûmes deux bières avant de prendre place dans les tribunes, le visage maquillé de peinture bleue, blanche et rouge.
Là où nous étions placés, supporters tricolores et lusitanniens étaient mélangés dans un esprit bon enfant. Nous acclamâmes les deux équipes à leur entrée sur le terrain. Nous avions une bonne visibilité et l'on pouvait reconnaître les différents joueurs très distinctement. J'étais heureux de voir qu'Anelka était titulaire aux côté d'Henry. Notre enthousiasme pour notre équipe nationale fut vite refroidis car à la dix-neuvième minute, Nuno Gomez ouvrit le score en trompant Barthez d'une frappe instantanée de loin à la trajectoire parabolique.
Peu de temps après le repos, nous nous enlassâmes Stéphane, Michélon et moi après qu'Henry égalisa sur un service d'Anelka. La rencontre demeura crispante jusqu'au terme du temps réglementaire et même jusqu'à la fin des prolongations. A la cent dix-septième minute, l'arbitre siffla un penalty pour une main dans la surface d'Abel-Xavier, défenseur aux cheveux et à la barbe péroxydés de l'équipe portugaise. Le penalty était litigieux et pendant que nous explosâmes de joie, les supporters en maillot rouge se prirent la tête dans les mains. Zidane saisit le ballon des mains, le déposa sur le point de pénalty, recula de quelques pas d'élan avant de décocher une frappe gagnante sur la gauche de Victor Baia. La messe était dite et sous de nouvelles accolades et embrassades, nous nous dîmes que nous étions qualifiés pour la finale. A la sortie du stade, des reporters de la télévision Belge nous interrogèrent sur le contenu du match. Michélon partit dans un grand monologue à la fois rythmé et drôle tandis que les supporters portugais qui passaient derrière nous lachaient des "tricheurs" à tout va. Planté devant les cameraman, je m'étais dit qu'heureusement il ne s'agissait pas de la télèvision française. J'imaginai mon maître de stage, sosi et homonyme de l'acteur Michel Bidault se dérouler les moustaches blanches qu'il avait en forme de guidon de vélo, en me voyant depuis son salon.
Après que nous ayons donné notre interview, nous nous dirigeâmes dans un bar dépenser la centaine de francs qu'il nous restait. A l'intérieur nous fîmes connaissances avec un groupe de supporter des oranges et un autre supporter français qui était venu jusqu'ici depuis sa Champagne crayeuse. Les blagues fusaient entre les deux quand. D'un côté, les hollandais se moquaient de nous, supporters français et plus particulièrement des chants que nous employâmes pour encourager l'équipe entraînée par Roger Lemaire :
_ Allez les bleus, allez les bleus ! , chantèrent-ils.
_ Vous avez complètement raison, cela ne vaut certes pas un flower of Schotland,acquiesçai-je : " Mais je trouve les oranges sans jus !" Je ne su pas si nos potentiels adversaires du dimanche avaient compris ma blague car juste après l'avoir dite, notre compatriote champenois qui c'était mélé à nous, offrit une tournée générale. Dans une ambiance festive, nous continuâmes à nous balancer des vannes entre les deux camps.
_ Vous ne méritiez pas la victoire, nous dit un des grands blonds fan de Dennis Berkamp. " Il n'y avait pas penalty.
_ Quoi ? Il n'y avait pas penalty ?, protesta Michélon, pas étonnant que tu penses que ton équipe et la meilleure, car tu as vraiment besoin de lunettes."
L'un d'entre eux offrit à son tour une tournée. Visiblement il avait déjà vu un match diffusé depuis la France puisqu'il trouva nos commentateurs nuls. Nous reconnûmes à son excellente imitation Thierry Rolland, commentateur réputé misogyne et raciste. Nous prîmes une photo tous ensemble revêtus réciproquement de nos couleurs nationales. Les amstellodamois puisqu'ils venaient tous d'Amsterdam, se mirent à chanter :
_ Sunday bloody sunday ! , persuadés qu'ils allaient se qualifier pour la finale et ensuite nous mettre une raclée dominicale.
_ Hep hep hep ! Pas si vite ! , les interrompit Stéphane qui avait prêté son chapeau aux couleurs de la bannière française à l'un d'eux. Vous n'avez pas encore battu l'Italie !
Sur ces mots, Michélon et moi nous nous mîmes à chanter en coeur : " On est en finale, on est en finale, on est on est on est en finale ! "
Minuit sonna et il était tant pour nous de rentrer. Nous saluâmes les hollandais en leur souhaitant bonne chance pour le match du lendemain et sortîmes du café, le Châlonnais emboîtant notre pas. Nous marchâmes une bonne heure avant de réaliser que nous étions perdu. Nous nous retournâmes vers le marnais, lui demandant s'il savait où se trouvait le grand parking qui normalement devait être facile à repérer. Celui-ci réalisa qu'il n'était pas garé au même endroit que nous. Nos chemins devaient donc se séparer ici et nous le laissâmes planté là, perdu en riant aux éclats. Nous retrouvâmes la voiture quelques instants après et c'est à deux heures du matin que je rentrai me coucher. Le lendemain matin, je peinai dans la salle de bain à enlever les traces de peinture encore visible sur mes joues. Je me rendis à l'agence où je faisais mon stage. L'agent général était déjà à son bureau à taper des devis.
_ Bonjour Bérenger, me dit-il en se décrottant le nez. Vous-avez sans aucun doute regardé le match à la télévision hier soir ? Ah quel match hein ?
_ Oui un très grand match, lui-répondis-je en me rendant compte à ce moment là que j'avais la voix cassée.
Cette année là, la France s'octroya un doublé historique coupe du monde, coupe d'Europe en battant la squadra azura dans les dernières secondes, au terme d'une finale palpitante. Nous n'avons gagné aucun titre depuis. Il me sera difficile cette année de quitter mon job en pleine journée pour me rendre en Afrique du Sud supporter la France mais je suis de tout coeur avec eux. Je pensai à l'époque que ce nous avions vécu ce jour resterait un moment unique dans notre vie mais nous avons appris il y a peu, que la France organiserait l'Euro 2016 avec des matchs qui se joueront à Lens et à Lille. Le rendez-vous est pris.